Noircir les faits - Espace51 - Exposition du 18 avril au 4 mai 2025
Noircir les faits
Derrière un titre plutôt paradoxal en des temps déjà assez sombres, se révèle une pratique dans laquelle le visible est entièrement tourné vers le tangible. Photographies, moulages et empreintes de toutes sortes, c’est toujours sur le mode de l’indice que mes pièces se manifestent. Les différentes techniques de reproduction que j’utilise ont toutes pour but de produire de la trace, c’est-à-dire un état attestant à la fois d’une présence et d’un effacement. De l’original, qu’il s’agisse d’un objet ou d’une image, il ne reste que l’écho, soit un signal altéré et différé.
Reporter les choses n’est donc pas ici les rapporter fidèlement, mais dans le geste et le temps du report s’en éloigner un peu. Ce n’est pas le même qui m’intéresse, mais le double, ce même mais autre, avec le trouble qui l’accompagne. En troublant ainsi la vue, mes pièces retardent leur réception et forcent l’attention. Un matériau peut vite être pris pour un autre, une image disparaître aussi furtivement qu’elle est apparue. Le visible est ici toujours en sursis, fragilisé dans ce qui se perçoit au risque de ne plus rien montrer du tout, ou alors dans sa matérialité même quitte à le mettre en danger, demandant littéralement de faire attention, de reconnaître cette fragilité pour lui permettre d’exister.
Mais c’est aussi par les mots que le double ou le doute est semé. Chaque titre est construit en jouant sur les polysémies et les associations. En ce sens, Noircir les faits peut à la fois venir questionner un pessimisme latent ou être une manière de l’organiser, selon la belle formule de Walter Benjamin « organiser le pessimisme », donc de lui faire face (son usage est ici sans doute abusif, il n’en reste pas moins qu’elle me revient régulièrement en tête). Noircir les faits nommerait ainsi une façon d’appréhender le monde, un moyen de prendre sa trace, comme si avec un charbon, je venais en frotter la surface afin d’en rendre l’empreinte. C’est encore un clin d’œil à ma pratique qui se décline uniquement en noir et blanc.
Cette exposition constitue le premier volet du projet L’extinction des feux qui tire son titre de la série présentée dans l’exposition. L’expression qui remonte aux temps où la lumière était fournie par la flamme d’une bougie que l’on éteignait au moment du coucher a été reprise dans le langage militaire qui lui a donné une signification plus autoritaire. Résonnant de plusieurs manières avec la période actuelle et mon travail, elle est devenue le titre d’un projet mêlant principalement installation et photographie. L’expression définit un cadre sémantique qui guide mes recherches et dans lequel s’inscrivent des pièces déjà réalisées. Cet ensemble ouvert de pièces se renvoyant les unes aux autres invite les spectateur·x·ices à arpenter un territoire mental dans lequel resurgissent les bruissements du monde.